Un regard sur l’œil du dragon

Un regard sur l’œil du dragon

liq_sept2016_coverCet article est d’abord paru dans l’édition de septembre 2016 de Life in Québec Magazine.

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Par Cynthia Sheehan

Dans le vaste monde de la téléréalité, on trouve certains programmes populaires où des entrepreneurs pleins de potentiel font leur pitch à un panel de gens d’affaires aguerris, tentant de les convaincre d’investir dans le prochain coup du siècle.

Les téléspectateurs écoutent Dragon’s Den au Canada, Shark Tank aux États-Unis, ou Dans l’œil du dragon au Québec pour encourager les idées plus inusitées dans l’espoir qu’ils décrochent le gros lot avec un des investisseurs. Cela fait du bon divertissement, mais est-ce un bon plan d’affaires?

Oui et non, disent Marlène Fréchette et Richard Drolet d’Entrepreneuriat Laval, l’accélérateur d’entreprises de l’Université Laval.

« C’est une excellente publicité gratuite, » reconnait Mme Fréchette, considérant que la plupart des petites entreprises ne peuvent pas se permettre des publicités télévisées aux heures de grande écoute.

Drolet est d’accord : « La première raison d’aller sur ce genre d’émission est de bâtir une reconnaissance de marque, » il dit, ajoutant que les participants ont aussi accès à un réseau de connaissances et d’expérience d’affaires. « Vous voyez souvent un des Dragons dire qu’ils vont connecter un participant avec un collègue qui pourrait les aider avec ceci ou cela. »

Les investisseurs de l’émission sont bien établis dans la communauté d’affaires, et leurs conseils et connexions peuvent être tout ce dont une nouvelle entreprise a besoin pour se lancer.

Et l’argent, alors? Capturer un investisseur majeur n’est-il pas la raison principale d’aller à l’émission? Drolet ne le pense pas. Vous voyez, les Dragons et Sharks sont ce qu’on appelle des investisseurs providentiels, ou « anges » (de l’anglais angel investor). Leur but premier est de faire de l’argent rapidement et passer à autre chose. Ils cherchent des entreprises ayant un potentiel d’expansion et profit rapide.

« Les associations avec des investisseurs providentiels ne sont pas toujours positives, » dit Mme Fréchette. « L’investisseur providentiel changera souvent votre plan d’affaires et changera le cap de l’entreprise. Il peut y avoir beaucoup de friction entre l’ange et l’entrepreneur s’ils ne sont pas d’accord sur la direction à prendre. »

Même si l’entrepreneur n’aime généralement pas perdre le contrôle de son entreprise, l’investisseur providentiel va souvent exiger une part importante des actions avant d’investir. « Mais personne ne vous force à accepter. Si vous n’aimez pas les conditions, ne prenez simplement pas l’offre, » dit M. Drolet. Il est important de se rappeler que les deux partis peuvent se désister en tout temps. Même quand les investisseurs font une offre, c’est loin d’être coulé dans le béton.

Mme Fréchette et M. Drolet sont d’accord que les investisseurs anges ne sont qu’une source potentielle de financement, et M. Drolet suggère qu’ils ne sont pas nécessairement la meilleure source.

« Un investisseur providentiel devrait être le plan de dernier recours. Vous ne commencez jamais là! » dit-il. Parmi les autres options à considérer, il y a l’argent des amis et de la famille (le « love money » en anglais), un prêt de la banque, ou le financement de multiples organismes.

Des plateformes comme Kickstarter, Indiegogo et La Ruche au Québec ou Haricot à Montréal permettent aux nouvelles entreprises de lever des fonds importants par l’entremise de micro-investissements d’un grand nombre d’investisseurs. La plupart de ces sources sont moins envahissantes qu’un investisseur providentiel. Pour ceux qui décident d’aller chercher l’aide d’un ange, plusieurs options existent hors de Dans l’œil du dragon.

Il y a au moins 32 groupes actifs d’investissement providentiel au Canada qui ont investi plus de 133 millions $ en 2015. Le plus actif au Québec, Anges Québec, se classe troisième au Canada en termes de dollars investis, selon un rapport d’investissement providentiel de 2015 du National Angel Capital Organization.

Qu’est-ce qu’il y a de si différent de l’émission de télé? « C’est 90% de la téléréalité et 10% du financement, » dit Annik De Celles de Créations Les Gumes, une entreprise qu’elle a fondée à Québec pour produire des desserts à base de légumes. De Celles s’est présentée à Dans l’œil du dragon en 2013.

« Tout est pour l’émission, pas pour l’entreprise, » elle dit. « Ils cherchent de bonnes histoires et des gens que les téléspectateurs vont aimer. » De Celles prévient : « Vous y allez à votre propre risque. Vous n’avez aucun contrôle sur comment ils vous feront paraître. »

Après une présentation qui peut prendre plus d’une heure, elle note, « s’ils décident de garder les deux ou trois fois que vous avez hésité, ou les deux ou trois froncements de sourcils, vous ne pouvez rien y faire. Vous voyez le résultat final avec tous les autres quand l’émission est diffusée. »

De Celles ne regrette pas d’avoir été à l’émission, même si elle n’a eu aucune offre des Dragons. Elle dit qu’elle a eu une explosion de clients après l’émission, qui s’est tranquillement évaporée. « C’était une tempête au début. Les gens m’arrêtaient dans la rue pour me parler de l’émission. »

En fin de compte, elle dit, ce n’est pas trop grave si le participant reçoit du financement ou pas, parce que « certaines personnes vous apprécient vraiment, l’amour des téléspectateurs est réel. »

Comme le dit Marlène Fréchette d’Entrepreneuriat Laval, c’est de la publicité gratuite, et ça pourrait être assez pour attirer d’autres opportunités d’affaires.

« J’ai eu quelques offres d’affaires de gens qui ont vu l’émission et qui ont aimé mon produit. Rien ne s’est concrétisé, mais c’était intéressant, » dit De Celles, ajoutant que son expérience a été généralement positive, « mais j’étais ultra-préparée. J’ai pratiqué mon pitch plusieurs fois. Je connaissais mes chiffres au bout des doigts et j’étais confortable d’en parler en public. »

Quels conseils donnerait-elle à ceux qui pensent s’aventurer chez les Dragons ou dans les eaux des Sharks? « Vous devez être confiants et savoir gérer un haut niveau de stress. Les participants devraient savoir dans quoi ils s’embarquent. C’est un jeu, c’est de la télé. Les téléspectateurs et les investisseurs vont vous adopter, pas adopter votre idée. »

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Cynthia A. Sheehan

Cynthia A. Sheehan

Cynthia A. Sheehan grew up in a bilingual family in Quebec City. She teaches entrepreneurship and management at FSA Laval and is working on many projects including a book on entrepreneurship and the organisation of the TEDxQuébec. You can follow Cynthia on Twitter @SheehanCyn.

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